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La conciliation de la justice avec la liberté



On nous dit « en somme , qu’est ce que vous voulez ? ». Cette question est bonne parce qu’elle est directe. Il faut y répondre directement. Naturellement, cela ne peut se faire en un ou deux articles. Mais , en y revenant de temps en temps, on doit y apporter de la clarté.
Nous l’avons dit plusieurs fois, nous désirons la conciliation de la justice avec la liberté. Il parait que ce n’est pas assez clair. Nous appellerons donc justice un état social ou chaque individu reçoit toutes ses chances au départ, et ou la majorité d’un pays n’est pas maintenue dans une condition indigne par une minorité de privilégiés. Et nous appellerons liberté un climat politique ou la personne humaine est respectée dans ce qu’elle est comme dans ce qu’elle exprime.
Tout cela est assez élémentaire, mais la difficulté réside dans l’équilibre de ces deux définitions. Les expériences intéressantes que nous offre l’Histoire le montrent bien. Elles nous donnent à choisir entre le triomphe de la justice ou celui de la liberté. Seules, les démocraties scandinaves sont au plus près de la conciliation nécessaire. Mais leur exemple n’est pas tout à fait probant en raison de leur isolement relatif et du cadre limité où s’opèrent leurs expériences.
Notre idée est qu’il faut faire régner la justice sur le plan de l’économie et garantir la liberté sur le plan de la politique. Puisque nous en sommes aux affirmations élémentaires, nous dirons donc que nous désirons pour la France une économie collectiviste et une politique libérale.
Sans l’économie collectiviste qui retire à l’argent son privilège pour le rendre au travail , une politique de liberté est une duperie. Mais sans la garantie constitutionnelle de la liberté politique, l’économie collectiviste risque d’absorber toute l’initiative et toute l’expression individuelles.
C’est dans cet équilibre constant et serré que résident non pas le bonheur humain, qui est une autre affaire, mais les conditions nécessaires et suffisantes pour que chaque homme puisse être le seul responsable de son bonheur et de son destin. Il s’agit simplement de ne pas ajouter aux misères profondes de notre condition une injustice qui soit purement humaine.
En somme, et nous nous excusons de répéter ce que nous avons dit, nous vouons réaliser une vraie démocratie populaire. Nous pensons que toute politique qui se sépare de la classe ouvrière est vaine et que la France sera demain ce que sera sa classe ouvrière.
Voila pourquoi nous voulons obtenir immédiatement la mise en œuvre d’une Constitution où la liberté recevra ses garanties et d’une économie où le travail recevra ses droits, qui sont les premiers. Il n’est pas possible d’entrer dans le détail. Nous le ferons chaque fois qu’il sera nécessaire. Pour qui sait nous lire d’ailleurs, nous le faisons déjà sur beaucoup de points précis.
Il reste a dire un mot sur la méthode. Nous croyons que l'équilibre difficile que nous poursuivons ne peut se réaliser sans une honnêteté intellectuelle et morale de tous les instants qui, seule, peut fournir la clairvoyance nécessaire. Nous ne croyons pas au réalisme politique. Le mensonge bien intentionné est ce qui sépare les hommes, les rejette à la plus vaine solitude. Nous croyons au contraire que les hommes ne sont pas seuls et qu’en face d’une condition ennemie, leur solidarité est totale. Est juste et libre tout ce qui sert cette solidarité et renforce cette communion, tout ce qui par conséquent touche à la sincérité.
Voila pourquoi nous pensons que la révolution politique ne peut se passer d’une révolution morale qui la double et lui donne sa vraie dimension . On comprendra peut être alors le ton que nous essayons de donner à ce journal. Il en est même temps celui de l’objectivité, de la libre critique et de l’énergie.
Si l’on faisait seulement l’effort de le comprendre et de l’admettre, nous avons la faiblesse de croire que pour beaucoup des Français commencerait une grande espérance. 
Albert Camus dans Combat, le 1er octobre 1944

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